Interview in HEY ! Modern art & Pop Culture #15

Voici une interview que j'ai eu avec Anne et Julien dans le magazine HEY ! Modern Art & Pop Culture #15 (Septembre 2013)

 

HEY ! est un magazine trimestriel qui met à l'honneur des artistes en marge qui ne trouvent pas toujours leur place dans les cannaux officiels, les publications grand public... Merci à Anne, Julien et toute l'équipe pour leur travail de recherche d'artistes de l'ombre et pour cette vitrine atypique.

 

Here is an interview I had in the magazine HEY ! Modern Art & Pop Culture #15 (September 2013)

 

HEY ! is a magazine published every three months. It's focus is on putting the light on marginal artists that sometimes cannot  reach us by traditional means or mainstream publications... Thank's to Anne, Julien and the rest of the team for their work on searching hidden artists and giving them this atypical showcase.

 

http://www.heyheyhey.fr/fr

On sait que les dessinateurs sont des enfants qui eux n’ont jamais arrêté de dessiner (geste naturel chez l’enfant). À quel moment ce geste est-il devenu chez vous une certitude ? Et pourquoi ?


« C’est en attaquant mes études supérieures que je me suis rendu compte que je n’avais pas envie de grandir mais envie de rester dans le monde illusoire du dessin. J’ai fait un début d’études d’architecture. Je me suis assez vite aperçu que les cours « sérieux » ne m’intéressaient guère et que je n’avais envie de suivre que ceux de dessin ou ceux en rapport avec l’art. Sans dire que le dessin n’est pas une matière sérieuse, mais l’enfant de 20 ans que j’étais préférait se réfugier dans les univers imaginaires et colorés des super-héros des comics américains plutôt que se confronter à la mécanique statique, la géométrie axonométrique et aux contraintes liées aux projets architecturaux... »


À quel moment de votre vie cela correspond-il ?


« À ce moment, j’ai voulu tout plaquer, arrêter mes études, partir, voyager. Devenir un ermite qui arpenterait les routes d’Afrique, ou traverserait l’Atlantique sur une pirogue. Mais en Afrique, il fait chaud et je n’aime pas trop transpirer. Et puis, j’ai enfin compris que les B.D. que je lisais, les illustrés que je feuilletais étaient dessinés par des vrais gens, et non pas par des extraterrestres qui créaient des dessins par des pouvoirs mentaux extra-développés et les envoyaient sur Terre en utilisant des rayons gamma. J’ai aussi compris qu’on pouvait apprendre à dessiner en prenant des cours, aller dans une école spécialisée. Je n’avais pas la vocation de devenir un dessinateur jusqu’à ce moment, même si j’ai toujours dessiné, certes mal, mais je ne me suis jamais arrêté comme vous dites. Et même quand j’ai été dans une école de dessin - l’école Émile Cohl pour mon cas -, j’avais l’impression que c’était une sorte de parenthèse, une récré, qu’après il faudrait trouver un « vrai » boulot. Je le cherche toujours... Je suis un monomaniaque psychorigide qui n’arrive pas à prendre la vie au sérieux. »


Si vous aviez à décrire le caractère qui distingue votre dessin, votre trait, comment le feriez-vous ?


« Je pourrais dire que je navigue dans les eaux d’un surréalisme expressionniste absurde, doublé d’un aspect souvent grotesque. Maladroit et précis. Je ne me définis pas comme un bon dessinateur, et surtout pas comme un dessinateur réaliste. J’ai une certaine maladresse dans mon dessin, ce qui est à la fois un défaut et un avantage. J’essaye de tirer parti de cette maladresse. Ma vision du dessin est qu’il ne doit pas être une reproduction fidèle de la réalité, ce que je trouve sans intérêt, mais doit plutôt être le reflet d’une réalité intérieure. Entre le monde extérieur, source d’inspiration, et le dessin que je vais produire, il y a un filtre complexe, composé de mon globe oculaire, mon cerveau et ma main. Ma perception intérieure déforme déjà les choses vues, entendues, ressenties. Mon cerveau les retranscrit, les réorganise, des fois de manière symbolique, des fois de manière anarchique, les nourrit, ou les appauvrit. Puis le tout jaillit par le biais de ma main, et c’est l’étape la plus difficile, car cette main est douée d’une vie propre. Rebelle et incontrôlable, elle ne semble pas obéir à ma volonté. Malgré des années de cohabitation, des fois un peu plus pacifique et harmonieuse, elle me réserve encore des surprises, pour le meilleur et souvent pour le pire. »


Qu’est-ce que le dessin vous a fait découvrir de votre personnalité ? Quelles sont les limites qu’il vous fait franchir ? Ou pas…


« Premièrement, ça m’a permis de comprendre que je suis patient et méticuleux. La technique que j’utilise principalement, celle de la carte à gratter, est une technique longue et fastidieuse. Je dois produire un dessin alors que d’autres en produisent dix. Et pourtant, je prends du plaisir à cela, à avancer comme un escargot alors que le monde va de plus en plus vite, ce qui fait que je me sens souvent en décalage avec celui-ci. Et puis, le dessin est un miroir déformé de l’âme. Je suis fermement convaincu qu’on ne dessine que ce qu’on est, même si certains vont essayer de déguiser ça par des subterfuges divers. J’ai une affection particulière pour mes dessins ratés, et il y en a beaucoup, où le dessin est faible, le propos incohérent ou sans intérêt, mais où la sincérité est là. Un peu comme un calque de soi à un instant t, un sentiment qu’on ne retrouvera peut-être plus jamais parce qu’une fois que c’est couché sur le papier, c’est exorcisé et ça ne nous appartient plus. »


Comment définir le plaisir que vous avez de travailler le noir et blanc ? Et comment affinez-vous, avec le temps, votre approche liée à la recherche de la lumière ?


« En soi, j’aime beaucoup la couleur. Mais je n’aime pas l’idée d’avoir à mettre de la couleur sur un dessin juste pour en mettre, ou pour faire joli. Le noir et le blanc, et tous les gris entre ces deux valeurs, me donnent une palette suffisamment étendue pour que je puisse m’exprimer pleinement. La sobriété de la technique oblige à une certaine abstraction et évite de se perdre dans des myriades de couleurs et d’affadir son propos. Il y a un côté direct et sans concessions dans le noir et blanc. Ça oblige à se concentrer sur le propos, la composition, les formes et la lumière. Et pour moi, c’est là le nerf de la guerre : cette recherche de lumière qui va créer la scène, car il ne s’agit que de ça dans cette technique de la carte à gratter, où on part d’une surface noire pour amener par de petits traits blancs la lumière qui va révéler les formes. Après, c’est une question de dosage, de trouver le juste équilibre entre le noir et le blanc, qu’on apprend à mieux gérer avec le temps. Surtout, on s’initie à ne pas faire des dessins sous-exposés, un peu trop sombres en soi, car on n’a pas osé aller assez loin dans le travail de lumière, peut-être par crainte d’aller trop loin. C’est une technique selon laquelle on ne peut pas trop revenir en arrière… Depuis quelques années, je me suis davantage concentré sur mon travail en noir et blanc, notamment à cause de divers projets qui le nécessitaient. Bien que je ne me considère pas comme un coloriste-né, j’aime bien utiliser la couleur dans certains de mes dessins. Je trouve que les couleurs ont une valeur hautement symbolique ; du moins, c’est comme ça que j’aime les utiliser et ce n’est qu’en donnant une valeur abstraite aux couleurs que je peux distribuer celles-ci de manière judicieuse. Donc, encore une fois, je suis bien loin du réalisme, la couleur n’étant là que pour appuyer mon propos et non pas pour retranscrire une réalité connue. »


Au regard de votre parcours et des choses accomplies, quels sont les piliers, les refuges, les certitudes dont vous savez qu’ils soutiennent définitivement votre univers graphique ?


« En tant « qu’artiste accompli », on se dit qu’il faut évoluer, en bien ou en mal, se renouveler, ne pas se répéter. Et puis, au bout de quelques centaines de dessins on se rend compte qu’on n’a fait que des variations des mêmes thèmes tout du long, avec bien entendu d’autres petites choses qui viennent se rajouter, s’agglutiner par dessus, selon les époques. Pour ma part, avec toujours une fascination morbide, ces thèmes tournent autour de la fuite, l’auto-apitoiement, la non-métamorphose de soi, la tragi-comédie de la vie. »


Quels sont vos buts artistiques ? Les frontières que vous vous destinez à atteindre ? Ou celles qui vous motivent profondément, même si vous vous sentez encore loin d’elles…


« « But » et « art » sont deux mots que j’aurais du mal à concilier. Pour moi, l’art doit être désintéressé. Et c’est bien là le plus dur, de faire un art qui soit vrai, dépouillé de toute visée esthétique, technique ou commerciale. Une œuvre d’art n’existe que si elle est vue et le but n’est pas d’ignorer le regard du spectateur. Mais, bien souvent, j’ai l’impression de répondre aux attentes de ce spectateur plutôt qu’étaler ma vision de manière brute sur le papier. J’aimerais pouvoir produire des dessins de plus en plus personnels. Et ce, même s’il s’agit de travaux de commande comme l’illustration, la bande-dessinée ou le dessin de presse. »


Propos recueillis par Anne & Julien




We know that cartoonists are like children who have never stopped drawing (a natural activity in children). At what point for you did this activity become inevitable? And why?


“It was whilst tackling my graduate studies that I realised that I didn’t want to grow up, but wanted to stay in the fantasy world of drawing. I made a start studying architecture. I understood pretty quickly that the ‘serious’ course didn’t interest me much, and that my only desire was to follow those in the field of drawing or related to art. Not to say that drawing is not a serious matter, but the 20 year old child that I was preferred to take refuge in the imaginary and colourful world of U.S. superhero comics rather than confront the static mechanics, axonometric geometry and constraints associated with architectural projects...”


At what point in your life did this realisation occur?


“At the time I wanted to drop everything, quit my studies, leave and go travelling. Become a hermit and tour Africa or cross the Atlantic in a canoe. But it’s hot in Africa and I don’t like sweating very much. And then I finally understood that the illustrated comics I read and flipped through were drawn by real people, and not by aliens with ultra-developed mental powers who created drawings and sent them to Earth using gamma rays. I also realised that you could learn to draw by taking classes, going to a special school. I didn’t have a vocation to become a cartoonist until then, even if I've always drawn, though badly, but I never stopped drawing. And even when I was in art school, the Emile Cohl School in my case, I felt it was a kind of parenthesis, a pastime, after which I’d have to find a ‘real’ job. I’m still looking for one... I’m an uptight mono-maniac, who cannot seem to take life seriously.”


How would you describe the character that distinguishes your drawing and your line?


“I could say that I navigate in the waters of an absurd expressionist surrealism, often coupled with a grotesque aspect. Clumsy and precise. I do not define myself as a good draftsman, and especially not as a realist artist. I possess a certain awkwardness in my drawing, which is both a defect and an advantage. I try to capitalize on this clumsiness. My vision of drawing is that it should not be a faithful reproduction of reality, which I think is irrelevant, but rather should be a reflection of an inner reality. Between the inspirational outside world and the drawing that I will produce, there is a complex filter composed of my eye, my brain and my hand. My inner perception already distorts the things seen, heard, felt. My brain re-transcribes, reorganises, sometimes symbolically, sometimes in an anarchic way, nurturing, or impoverishing these things. Then it all flows through my hand, and this is the most difficult step because the hand is endowed with a life of its own, rebellious and uncontrollable, it does not seem to obey my will. Despite years of cohabitation, by times a little more peaceful and harmonious, it still has some surprises in store for me, for better and often for worse.


What has drawing made you discover about your personality? What are the limits that it allows you to overcome? Or not...


“Firstly, it has allowed me to understand that I am patient and meticulous. The scratch board technique I mainly use is long and tedious. I produce one drawing while others produce ten. And yet I take pleasure in it, moving like a snail while the world moves faster and faster, so that I often feel out of sync with it. And then the drawing is a distorted mirror of the soul. I am firmly convinced that we draw only what we are, even if some will try to disguise it by various subterfuges. I have a special affection for my failed drawings - and there are many, where the drawing is weak and the subject inconsistent or uninteresting, but where there is sincerity. A bit like a tracing of the self at a moment in time, a feeling that may never be recovered again because once it's down on paper, it is exorcised and it does not belong to us anymore.”


How do you define the pleasure you take in working in black and white? And how do you perfect over time your approach linked to the search for light?


“I love colour in itself. But I do not like the idea of having to add colour to a drawing just for the sake of it, or to make it look pretty. Black and white and all the greys in between provide me with a sufficiently broad palette to fully express myself. The sobriety of the technique forces a certain abstraction and avoids getting lost in a myriad of colours and dulling its purpose. There is a direct and uncompromising aspect in the use of black and white. It requires a concentration on the intention, the composition, form and light. And for me the crux of the matter is this search for light that will create the scene, since that’s what this scratch board technique is all about, where one starts with a black surface procuring light by means of small white lines which reveal the forms. After that, it’s a question of dosage, finding the right balance between black and white that you learn to handle better over time. Above all, you learn not to make the drawings under-exposed, a little too dark per se, as you didn’t dare go far enough in the light work, perhaps by fear of going too far. This is a technique where you cannot backtrack too much… In recent years, I've been more focused on my work in black and white, especially because of various projects that demand it. Although I do not consider myself a born colourist, I like to use colour in some of my drawings. I think colours are highly symbolic, at least that's how I like using them and it is only by giving an abstract value to the colours that I can apply them judiciously. So once again I am far removed from realism; colour is only there to support my intent and not to transcribe a known reality.”


Given your track record and the things accomplished, what are the props, sanctuaries, the certainties that you know are fundamental to your graphic style?


“As an ‘accomplished artist’, you tell yourself that it’s necessary to evolve, for better or worse, to renew oneself, not to be repetitive. And then after a few hundred drawings you realise that it was only variations on the same theme all along, of course with other things added, amassing on top, depending on the period. For my part, always with a morbid fascination, these themes revolve around escape, self-pity, lack of self-transformation and the tragi-comic nature of life.”


What are your artistic goals? What objectives have you set for yourself? Or that motivate you deeply, even if you still feel a long way from attaining them...


“‘Goal’ and ‘Art’ are two words that I have difficulty reconciling. Art, for me, should be disinterested. And this is the hardest part, an art that is true, stripped of all aesthetic, technical or commercial objectives. A work of art exists only if it is seen and the goal is not to disregard the spectator’s gaze. But quite often I have the impression of meeting the expectations of this spectator rather than expanding my vision in its raw form on paper. I wish I could produce more and more personal drawings. Even if they are commissioned works like illustrations, comics or press drawings.


Interview by Anne & Julien


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